Jean-Claude Ellaya, le charcutier de Piton-St-Leu connu jusqu’au Canada HISTOIRE DE LA REUNION

« Marmaille, travail i tué pa » cette petite phrase à elle seule résume sa vie de labeur. Jean-Claude Ellaya, fils de Auguste Galan et de Léonie. Léonie est née le 28 juillet 1952 au grand Hôpital de Saint-Denis, Fait rare pour l’époque où la plupart des femmes du coin se font accoucher par la matrone nénène Zidore, habitante Au Madurant.

Mais, c’est un marmaille « la kour » comme il dit « même si mon lombri (le nombril donc le cordon ombilical) lé coupé à Saint-Denis, mon racine lé a Piton Saint-Leu ». Comme la plupart des garçons de son époque, il est né dans une famille « misère » voire très modeste, mais chez eux, le courage était le maître mot pour leur survit.

Avec sa sœur Francéza, il allait « vendre bazar à tête » à l’âge de 11/12 ans. Une période où il fallait « débattre » pour gagner son pain et surtout ramener le montant exact de la vente du « bazar » à la maison sous peine de punition par les parents. L’école n’était pas sa tasse de café (ici on préfère le café au thé), comme il dit lui-même « mi gagne compter et signer mon nom, lé suffisant ». L’époque veut que l’école soit secondaire, très vite on aide papa et maman. Les enfants sont des bras en plus, c’était le temps des marmailles à « corvée » (ou corvéables à merci).

Dans sa jeunesse, Jean-Claude a essayé plusieurs métiers, en tant qu’apprenti malgré la maltraitance de certains patrons : menuisier, charpentier, boulanger. Ce sera presque son dernier métier. En tout cas un métier qu’il exercera pendant vingt ans où il pourra avoir un salaire régulier « inn ti salaire la misère, mais ti source i coule lontan ». Il est embauché en tant que salarié sur les secteurs de Saint-Leu et Saint-Paul où il livre des pains, macatias et autres pâtisseries.

Heureusement, afin de maintenir l’espoir d’une vie meilleure, à chaque étape de sa vie professionnelle, il a mis de l’amour dans son métier. Ce sera son leitmotiv durant tout son parcours de vie. Finalement, il s’épanouira dans le métier de charcutier. Adulte, il apprend à tuer le cochon avec la famille Appaya. Depuis qu’il a quitté le secteur de la boulangerie, il devient boulimique dans tous ses apprentissages.

A un moment même de sa vie il s’improvise « maquignon » (quelqu’un qui achète des marchandises ou autres, et revend dans la foulée pour une plus grande plus value) en revendant des animaux divers, qu’il élève dans des parcs sommaires : des poules, six à huit cochons, lapins, aidés par son entourage familial « in main i lave l’autre » (solidarité des petites gens). En 1972 à l’âge de vingt ans, il épousera Mimose Etchiandas, et aujourd’hui à soixante huit ans, il est toujours avec la même femme.

Quelques années plus tard en 1990, il ouvrira une petite charcuterie chez lui à Piton Saint-Leu (à la même place actuelle). Malgré, les normes sanitaires de plus en plus draconiennes, il parvient à maintenir son activité, et surtout avec sa femme, à transmettre le virus (pas la Covid lol) du travail aux enfants. Toute la petite famille s’y met afin de fructifier cette petite entreprise familiale. Maman fabrique le boudin, le graton et les andouilles ; les filles Fabiola, Mirella et Ericka apprennent à faire les samoussas ; et Harry-Claude, l’unique garçon, aide son père dans la transformation.

Rien ne destinait cette famille à travailler ensemble. L’aînée venait juste de convoler en juste noce, Mirella poursuivait des études pour devenir infirmière. Ericka suivait son mari militaire en métropole. Harry-Claude entamait des études de technologie, mais bifurquera sur la voie de son père; et finira par obtenir son CAP de charcutier traiteur.

Si au début de l’aventure qu’aucun membre de la famille n’a de diplôme dans ce domaine de prédilection, tous sont autodidacte et on apprit sur le tas. L’amour du travail, valeur primordiale du père de famille, a fait le reste. Ne dit-on pas c’est au pied du mur qu’on reconnait le maçon. Une passation, doucement mais surement, comme il a tendance à le dire aujourd’hui. Il est toujours à la baguette, mais laisse de plus en plus, les rênes aux enfants.

Après vingt ans de bons et loyaux services dans la boulangerie, et trente ans dans le domaine de la charcuterie, il est enfin reconnu par ses pairs qui le récompensent de la médaille de maître artisan (voir photo) en cette année 2020. A travers cette médaille, toute la famille est récompensée. D’ailleurs, cela fait la fierté de ses enfants, selon Mirella. Les cinquante années d’activité n’ont altéré en rien les valeurs humaines, même physiques de son papa.

Les enfants sont extrêmement fiers du parcours professionnel de leur père, parti de rien, aucun diplôme, et réussir faire une entreprise de renommée nationale voire internationale/ Car, les produits de Jean-Claude s’exporte sur toute la France et jusqu’au Canada. Son accueil, son « ptit kozé » « bonjour, bonsoir, mon pti sœur, mon pti frère..» « inn ti morceau en plus pour la graisse » et son savoir-faire dans toute sa bienveillance et son humilité, n’est plus à démontrer. Son slogan « Bienvenue chez Jean-Claude, bien vous servir pour vous voir revenir » est sa marque déposée.

Cousin Jean-Claude a atteint son rêve, travailler avec tous ses enfants, « ses trois bateaux et un pistolet » (blague de cousin Jean-Claude). Tout le monde sans rechigner met la main à la pâte. Solidarité et entente, des valeurs transmises qui tiennent bons par les temps qui courent. C’est ça le succès de sa petite entreprise, le travail et l’entente familiale. Pour la petite anecdote Céline, une amie de la famille venue dire un petit bonjour, me disait à propos de cette belle image d’unité « c’est comme la famille Capwell dans Santa Barbara». Peut-être pas la bonne référence en matière d’unité.

Même la petite dernière, Ericka, de retour de métropole après dix-neuf ans passé là-bas (aujourd’hui 38 ans) est revenue travailler dans l’entreprise familiale; afin d’accompagner ses « piliers ». Nostalgie quand tu nous tiens ! Telle une mère poule ma cousine, soixante-six ans est aussi fière de voir tous ses enfants autour d’elle et ravie de leur parcours. Pour elle, « la boucle est bouclée ».

Cousin Jean-Claude est toujours aux aguets pour dialoguer, analyser les bons (ou moins bons très rares) retours de ses clients fidèles «. La charcuterie, la lève (aider financièrement) à mwin beaucoup ». Comme dit Mirella « la présence de papa, rassure. Il nous remet dans le droit chemin quand il faut ». « Cette passation est faite depuis un petit moment », a observé Harry-Claude le seul garçon de la famille. Il a assisté son père, près de vingt ans. Il assume tout seul comme un grand, la responsabilité de l’unité de transformation.

Fier, lui aussi, de ce qu’a accompli son papa qui a ses débuts, ne comptait pas ses heures. Papa travaillait à la dure. Il se souvient qu’à la sortie de la messe de Noël, pour la messe de minuit, la charcuterie restait ouverte. Il conclut sur la phrase de son père, marque indélébile dans sa mémoire « marmaille, faut travailler pour gagner ».

Interview de Mirella sa fille cadette : « Pour moi, mon papa, c’est un exemple à suivre. Parti de rien, aujourd’hui papa possède sa propre entreprise. Ce qui lui permet de donner, d’offrir un travail à ses enfants. Papa était boulanger de métier. Après avoir été licencié, mon papa s’est mis en tête de ne plus jamais travailler pour un patron. D’ailleurs pour nourrir sa famille, papa faisait des samoussas artisanaux qu’il vendait au panier ». (« Vente à la crié », jusqu’a maintenant les gens s’en souviennent. Son slogan s’était avec 1 franc i gagne un ! ).

« Donc avec l’aide de maman, il a monté un dossier d’étude avec l’ANPE à l’époque. Il s’en est suivi plusieurs formations avec la Chambre des métiers. Bref en février 1990, la charcuterie Jean Claude est née. Au début papa travaillait avec maman en tant que conjointe collaboratrice. Aujourd’hui avec toute la persévérance, avec son bon accueil, sa gentillesse, son écoute pour les clients, son bon cœur, il faut dire qu’il a fait un peu de social aussi, avec tous les crédits restés impayés (quand un moune il fait pitié, Jean Claude té ferme le Zié) ».

« Avec le dialogue avec les touristes, de plus en plus, papa s’est fait un nom, il est connu à travers le monde. Ses produits voyagent partout. Et puis il y a eu des publi-reportage avec les chaînes de télé locale, puis les journaux locaux. Ensuite L’Express, Visu, et les petites chroniques dans les journaux en métropole. Moi étant sa fille, c’est comme si papa c’est un héros pour nous ».

« Son parcours, c’est celui d’un héros ! Malgré toutes les embûches, il n’a jamais baissé les bras. J’ai arrêté mon cursus science médico-sociale, et aujourd’hui j’ai un titre de niveau 4, d’aide dirigeante à l’entreprise artisanale; obtenue par le biais de la Chambre des métiers. Je me suis remise aux études pour seconder papa et pour apprendre à gérer au mieux l’entreprise, administrativement. Aujourd’hui, ma petite sœur Ericka nous a rejoint. Et on se serre les coudes ».

Clovis Etchiandas