La disgrâce de l’Etat français COURRIER DU LECTEUR

Né de la Révolution française pour mettre un terme à la monarchie, l’Etat-Nation français, l’un des plus vieux au monde, a du plomb dans l’aile. La crise sanitaire due au Covid 19 a pointé du doigt, l’impéritie de l’Etat à protéger sa nation. L’Etat a-t-il encore un sens aux yeux de sa population ?

La mondialisation et le libéralisme (économique, social, environnemental…) ont imposé une féroce concurrence entre les entreprises nationales et multinationales mais aussi entre les Etats. Cette concurrence économique exacerbée n’a que pour objectif, le profit. Il est aujourd’hui nécessaire d’apporter une régulation à ce système qui accentue les inégalités.


Dans ce cadre, la question des frontières, des états, donc des nations se pose en évidence car cette libération économique n’a pas, à mon avis, apporté une quelconque libération de la condition humaine.


Au contraire, les 26 milliardaires les plus riches de la planète détiennent autant d’argent que la moitié de l’humanité (3.8 milliards d’individus). Cette libéralisation, entraîne la perte de l’identité nationale et une progression de groupes ou groupuscules nationalistes ou populistes comme le Rassemblement National (ex front national), l’union populaire républicaine (UPR).


Des mouvements populaires « les gilets jaunes », portés ou instrumentalisés par certains responsables politiques qui réclament le retour de la souveraineté nationale, ont également émergé.


A force de vouloir être compétitif, nous avons délocalisé nos entreprises, supprimé des milliers d’emplois aux français, perdu nos arts et traditions et affaibli notre autonomie sociale. Ce minuscule virus est venu mettre en lumière la continue décadence de l’Etat français depuis des années et les errements des politiques actuelles dans la gestion de cette crise sanitaire.


« Nous sommes en guerre »1, disait le président de la République, Emmanuel Macron. Mais il s’agit là d’une guerre sans militaires, sans armes, sans protections, sans munitions, sans logistiques.


Il s’agit d’une guerre où ceux qui n’étaient rien, il n’y a pas si longtemps, sont en première ligne et sont devenus les héros quotidiens dans ce combat où l’ennemi invisible continue d’avancer et de tuer par centaines. Sans bruit de bombe.


Il s’agit d’une guerre où le Chef des armées, ses généraux et ses conseillers enfermés dans leur bunker, ont bégayé les ordres et n’ont pas pu communiquer efficacement avec les troupes. Un jour c’est oui, un jour, c’est non. Un jour, on ferme, un autre, on laisse ouvert.


Les conséquences sont les suivantes : une nation dans le doute, un pays à l’arrêt. Cette épidémie dévaste la population. Les hôpitaux débordent et les personnels soignants sont au bord de l’agonie. L’économie s’écroule. La dette s’accroît. Les inégalités se creusent. Les quartiers populaires s’embrasent.


On compte nos morts tous les soirs au journal de 20h (27 000 morts au moment où j’écris ces mots). Le confinement imposé est vécu différemment par la France des maisons secondaires et des HLM, exposant la réussite dérangeante de certains et ranimant la jalousie dolente chez d’autres.


Ces balbutiements du gouvernement, ne rassurent pas la population-nation qui attend que l’Etat les protège en cas d’attaques extérieures. Il y a eu défaillance et nombreux sont ceux qui, aujourd’hui, réclament un changement de société.


L’Europe est également montrée du doigt. Cette volonté d’une Europe « sans frontière », démarche humaniste, trouve dans cette crise inédite, ses limites prétentieuses et dangereuses à la fois.


Aujourd’hui, toutes les frontières sont fermées. C’est du pain béni pour les eurosceptiques qui n’hésitent pas à mettre en avant l’immobilisme et l’inutilité de l’Europe. Celle-ci a préféré laisser les Etats qui la composent la gestion de cette crise sanitaire séparément, comme le prévoit, toutefois, la constitution en matière de santé.


On a pu assister, impuissant, au désastre sanitaire en Italie, en Espagne. Comble de tout cela, ce sont la Chine et la Turquie qui ont répondu à l’appel au secours des italiens et des espagnols en leur fournissant des masques et du matériel médical…


La tentation de se lancer dans un « Frexit » est grande d’un côté et l’appel d’une Europe plus forte et solidaire se fait déjà entendre de l’autre.
Devant ce tableau peu reluisant de notre État et les atermoiements de nos élites, heureusement, la nation fait bloc. Dans toute guerre, il y a la tragédie humaine. Mais cette tragédie a aussi révélé ce qui a de meilleur chez beaucoup de français.


Rarement on avait vu un tel élan de solidarité, d’initiatives et d’empathie partout en métropole et en outre-mer. Peut-être pour pallier l’incapacité latente de l’Etat à remplir son rôle. Des initiatives individuelles et/ou collectives ont permis de garder la motivation des troupes dissimulées dans toutes les zones de combat sur le pays.


Il est vrai qu’en l’absence de militaires dans cette guerre, ce sont nos médecins, personnels soignants, caissières, éboueurs, boulangers, bouchers, agriculteurs et bien d’autres petits métiers qui nous sont essentiels mais qui nous paraissaient préalablement si insignifiants, qui sont au combat pour nous protéger et par là-même, pour protéger l’Etat !


Ils méritent bien ces applaudissements de 20h, mais est-ce suffisant ? Après toute cette guerre, ces héros d’aujourd’hui seront-ils de nouveau relégués au rang d’oubliés de la société ?


Cet Etat défaillant et cette Nation solidaire et garante, nous amènent à nous « réinventer » disait 2 encore Emmanuel Macron . Pour être efficace, cela doit s’opérer à tous et à tous les niveaux de notre société.


Beaucoup affichent le souhait de vivre dans un « monde d’après » meilleur qu’avant mais cela ne se fera pas d’un claquement de doigt. Avant de vouloir changer le monde, il faut d’abord s’en persuader.


Malheureusement, quand des gens se battent pour un rouleau de papier toilettes ou pour des sachets de pâtes, quand on voit la file d’attente devant les fast-food en plein confinement, quand on constate que des syndicats appellent déjà à la grève illimitée dès le déconfinement, quand on relate sur les réseaux sociaux des appels à la violence de la part des groupes extrémistes (les black-blocs) contre le gouvernement dès le premier samedi suivant la levée des restrictions… les jours d’après risquent d’être comme avant, voire pires.


Ce survivalisme de toute la nation française, a permis de repousser l’ennemi, mais il ne doit pas réclamer de ne plus compter sur l’action de l’Etat. La santé doit rester un droit en France et pas une guerre.


Alors non, Monsieur le Président, nous ne sommes pas en guerre ! L’Etat doit retrouver sa place et être le garant de ce droit que beaucoup de nations nous envient. Nos élites doivent se remettre en question pour retrouver leur légitimité.


Même si à n’en pas douter, le déconfinement et la très controversée décision de rouvrir les écoles, malgré l’avis divergent du conseil scientifique, ne sont pas engagés pour améliorer la confiance des français envers le gouvernement. 6 français sur 10 3 ne leur font plus confiance.


Les défis qui attendent le pays seront colossaux et le couple Etat-Nation doit se réconcilier pour les affronter ensemble et non pas séparément et opposés. Des leçons doivent être tirées de cette tragédie. Des vérités doivent être dites sur les manquements.


Mais au cœur du débat inévitable, il faut surtout utiliser toutes ces initiatives spontanées que l’on a pu découvrir afin de nourrir des réflexions sur de nouvelles relations ou articulations entre l’Etat et les citoyens.


Celles- ci devraient être synonymes d’une véritable union nationale dont nous aurions besoin pour affronter le marasme qui s’annonce et vivre des « jours d’après » meilleurs qu’avant…


DG

1 « Nous sommes en guerre », propos du Président de la République Française Emmanuel Macron, le 16 mars 2020 lors de son message aux français en direct à la télé à 20h.


2 « Il faut savoir se réinventer », propos tenu par E. Macron lors de son intervention télévisée le 13 avril 2020 à 20H02.


3 « Déconfinement : six français sur dix ne font pas confiance au gouvernement », article dans Le Figaro du 28 avril 2020