Christine, Christiane : la chef d’orchestre de la famille HISTOIRE DE LA REUNION

Christiane est ma sœur cadette. Nous avions l’habitude de l’appeler ainsi dans sa jeunesse. Aujourd’hui, nous l’appelons plus couramment Christine. Mais, son second prénom, c’est Marie Thérèse, comme maman. Comme ma sœur aînée Claudia, alias Céline (à croire qu’on appelle jamais les gens par leur vrai prénom ici), elle a grandi dans un contexte social et économique difficile.

Mes sœurs, comme moi, sont nées au Cap, presque au terminus du chemin Canal. Pendant leur jeunesse, elles jouaient dans les plantations de grand-mère Joséphine où se côtoyaient ; mascades, pois, maïs, manioc, patate cochon, jean-tac, cabris et vaches qui leur fournissaient le lait.

D’ailleurs, Christine se rappelle du jour où elle a voulu jouer au rodéo, et qu’elle s’est retrouvée par terre. Au tout début de leur enfance, mes sœurs vivaient dans une petite case en paille de vétiver, et dormaient sur de la paille, à même le sol, dans des « gonis » en guise de couverture. Dès l’âge de sept ans, mes sœurs allaient chercher de l’eau à pied, avec un petit récipient sur la tête, jusqu’au « Bac partage » du chemin Canal, étroitement surveillé par le gardien de l’époque qui de temps en temps, s’amusait à les faire peur.

Christiane se souvient avec beaucoup d’émotions, que mon père le portait souvent sur son dos, quand elle descendait à l’école de la ville. Car, elle était la plus jeune. C’est de loin le souvenir le plus affectueux, qu’elle garde de mon père. Elle qui laisse rarement transparaître ses sentiments. Elle se rappelle aussi, de sa maîtresse Mme Mazeau. Elle l’aimait bien, car avec elle apprenait bien. Malheureusement, quand elle changea d’école pour aller à Stella, cela devenait une corvée.

Mes sœurs, en fin de cette période d’enfance voire de début d’adolescence, pour ma sœur aînée, finissaient tranquillement leurs études primaires à Stella. D’ailleurs, fatalement, l’avenir des enfants de famille modeste, à cette époque-là, s’arrêtait en classe de fin d’études. Celle-ci portait bien son nom. Du coup, toutes les deux, vers treize quatorze ans, ont travaillé dans des familles en tant que nénènes (chargée en grande partie de l’éducation des plus jeunes enfants).

Je me souviens de plusieurs anecdotes, où la présence de ma sœur Christiane, m’a été providentielle. Notamment, le jour où je faisais une chute sur le dos sur un des gros cailloux dans le chemin Canal. Et, j’atterrissais à l’hôpital des enfants à Saint-Louis. Tout ça, parce que je voulais imiter le personnage imaginé dans la chanson que me chantait grand-mère « à mwin même jeune gens karner mi marche toujours le ventre en l’air… », et patatras.

Là, encore, ma sœur Christiane et mon père, sont venus me chercher, et ont fait le nécessaire et m’ont conduit à l’hôpital. Plus tard, avec toute la famille, nous avons intégré notre petite case de Grand Fond. Et à mes sept ans, c’est encore Christiane qui a tenu tête à grand-mère, contre vents et marées, pour que j’aille à l’école.

Un jour, du haut de mes 11 ans, j’ai voulu faire comprendre raison à ma sœur cadette, qui était le coq de la maison, mais j’ai très vite déchanté. Car, la volée que j’ai reçue d’elle, m’a remis à ma place de petit « couillon ». En l’absence totale d’autorité, ma sœur était là de temps en temps, pour me recadrer.

Je me souviens du jour où en revenant de la « capitale », après une période de travail harassante, en tant que bonne « à tout faire », elle est rentrée dans une colère folle. Et sans crier gare, m’a sévèrement corrigé, croyant que j’avais dilapidé tout l’argent de l’allocation de maman. Cet argent était toujours à sa place sous des tas de draps neufs, dans l’armoire (une tradition du temps « lontan »).

Il faut dire que Christiane qui avait beaucoup hérité du tempérament de grand-mère, à qui elle était la seule à tenir tête. Elle était nerveuse et colérique. Ce qui lui a valu des coups de ceinture de mon père, et ce pour qu’elle entendre raison. Elle détestait l’autorité dans une île de La Réunion, à l’époque où l’éducation en était très marquée. C’était une rebelle indomptable.

Une fois par mois, elle venait se ressourcer dans notre petite case de Grand Fond. Je jalousais sa position de fille prodigue, pour qui maman mettait sa plus belle nappe. Et surtout, elle lui réservait les meilleurs morceaux du « cari poulet ». Je me souviens de mettre souvent élevé contre cette position. Mais, ma mère affectueusement, me ramenait souvent à la raison du fait, qu’on la voyait que rarement.

Je me souviens de la fierté de ma sœur Christine de toucher sa première paye, en nouveau franc en 1976, (la fin du franc CFA était en 1975) où elle travaillait chez une famille à Stella, elle gagnait 100 francs tout rond. Ce qui était correct pour l’époque. Car, comme on dit, elle était logée et blanchie.

Avec les autres cousines, les samedis soirs, elle se rendait au « salon de bal » de l’unique salle du quartier de Stella « le Morning Star » qui passait des chansons très en vogue, de ses années-là, de l’époque Disco contrairement, aux chansons ringardes des « bals la poussière » des autres quartiers.

Christiane et Yvette, qui ont à peu le même âge, étaient les cousines inséparables étant adolescentes, toujours en train de faire les quatre cents coups, ensemble. J’ai une petite anecdote là-dessus. Dans le quartier, il y avait une dame dont je tairai le nom qui n’arrêtait pas de faire des « la-di la-fé » sur les deux jeunes filles. En plein midi, à l’heure du repas, pour être sûres de la trouver chez elle, elles sont parties la voir et la « totocher » comme on dit vulgairement. Elles sont arrivées à la case, fières d’elles, leurs vêtements tout tachés de « gros pois » et de « safran péi ».

Dans l’année de mes 17 ans, je suis allé au Lycée Amiral Bouvet à Saint-Benoît où étaient dispensés les seuls cours dans le domaine du tourisme dans l’île. Là encore, c’est ma sœur qui m’a accompagné en bus local (la route entre Saint-Denis et Saint-Benoît à l’époque était truffée de nids de poule) depuis Saint-Leu avec son bébé de 4 mois dans les bras, m’a fait mon inscription et m’a cherché un correspondant. C’était en Août 1983.

Depuis ce jour-là, j’ai volé de mes propres ailes, mais, elle a été toujours là pour moi dans les moments cruciaux de ma vie d’enfant voire d’adolescent.

A la naissance de son premier enfant, elle m’a donné le rôle de parrain, j’étais fier comme un coq de cette reconnaissance.

Clovis Etchiandas