« Le créole a un gène de cueilleur et sait se débrouiller » HISTOIRE DE LA REUNION

Le lundi 6 juillet 2020 l’association Mémoire et Créolités des Mascareignes a mené sa première action, depuis sa création fin 2019. Cette association souhaite sans prétention retracer, explorer l’histoire profonde de la Réunion vue et vécue par les Réunionnais.

Que savons-nous réellement de la vie de nos ainés ? Une époque qui nous parait à la fois proche et lointaine et pour laquelle notre connaissance peut se résumer à la transmission de nos années à l’école ou au gré de nos lectures des livres d’histoire.

Mémoire et Créolités des Mascareignes a voulu creuser un peu plus profondément la question en allant tout simplement à la rencontre de ceux qui l’ont vécue. Nous nous sommes éloignés un peu des sentiers battus et nous avons écouté, appris de nos ainés.

Nous avons donc convié lors de cette matinée trois mémoires créoles. 

Face à nous : Mme Cazal (sur la photo : en haut à gauche), elle est née en 1950 à Saint-Denis d’une famille modeste d’origine de l’est de l’ile (Salazie – Sainte-Suzanne). Elle a grandi au Port, qui déjà à l’époque était la porte d’entrée des marchandises importées et qui ne comptait que 2.000 habitants. « I fo pas nou perde nout zistoir pou prend saq les otres. » 

A ses côtés, M. Gonthier (la photo du bas), il est né en 1948 à Cilaos. Il a grandi avec 7 sœurs et 4 frères : « Dans mon temps il n’y avait que 6 voitures et 1 car courant d’air pour aller dans les bas. » nous confie-t-il.

Enfin, M. Nourry (sur la photo : en haut à droite), il est né à Salazie en 1949, issu lui aussi d’une  famille nombreuse (5 garçons et 5 filles) : « Les 10 microbes sont encore là aujourd’hui … ».

Les présentations faites, nous commençons cette rencontre.

La Réunion Lontan : votre enfance, vos jeux, l’école : Racontez-nous une journée type.

« Nos journées étaient bien remplies mais simples aussi », introduit madame Cazal. Dès l’âge de 4 ans, elle allait à l’école toute seule avec toute l’insouciance que l’on pouvait avoir en ce temps-là. Il y avait un esprit de liberté qui permettait d’aller ici et là entre son habitation et la Possession en pleine construction à l’époque.

Elle se souvient avoir eu l’habitude, avec sa famille, d’aller pique-niquer à la jetée du Port avec les pêcheurs et les dockers : un moment d’échange et de partage qui forge des souvenirs inoubliables et nostalgiques.

Cette enfance ne semblait pas être aussi simple à Cilaos. M. Gonthier avait pour habitude de se lever à 4 heures du matin pour « moud maïs » et s’occuper des animaux. L’école, il n’y allait que lorsqu’il le pouvait, et surtout quand vraisemblablement il n’y avait rien d’autre à faire à la maison ou pour la communauté. 

Souvent, il était le « Gardien lentille ». Son rôle : surveiller les récoltes de lentilles – denrée précieuse pour ce cirque qui aujourd’hui fait encore la fierté de cette région – sur les parcelles contre les oiseaux.

Les sorties n’étaient pas nombreuses. Le trajet en car courant d’air pour rejoindre Saint-Louis durait huit heures. M. Gonthier nous confie que la vie n’était pas la même dans les hauts et dans les bas. Certains diront que ce sentiment est toujours d’actualité.

C’est aussi ce que nous rapporte M. Nourry : « A Salazie, il y avait de quoi s’occuper, on ne pouvait pas s’ennuyer ». Dès le lever du soleil leurs journées étaient bien remplies : nourrir les animaux, cultiver ce qui allait leur servir de nourriture…

« Il n’y avait pas de jouets dans notre temps » précise M. Nourry. Ils étaient fabriqués avec les moyens du bord, la complicité entre frères et sœurs était forte.

D’anecdotes en anecdotes, nous nous apercevons sans trop de surprise que la vie était bien différente. Les familles achetaient peu et la monnaie avait de la valeur ; elle était utilisée au centime près : «ek 500 francs CFA (0,75 cts d’euros) nou té met l’essence dan l’auto, allé dansé et achèt un bout de pain ».

Les familles en ce temps-là cultivaient ce qu’elles mangeaient, non pas parce qu’il n’y avait pas la possibilité d’acheter de quoi manger, mais parce que les choses étaient ainsi faites. M. Gonthier avoue qu’ils n’avaient pas beaucoup d’argent mais qu’ils s’en sortaient , car la vie était beaucoup moins chère que maintenant. 

A l’inverse d’aujourd’hui, souligne Mme Cazal, nous consommions juste ce qu’il fallait, que ce soit dans les bas ou dans les hauts. On n’achetait que le strict nécessaire, il n’y avait pas de gaspillage. On ne faisait les courses qu’une fois par mois, et cela ne concernait que ce qu’on ne pouvait pas cultiver ou stocker.

Dans les hauts, le premier réfrigérateur à pétrole est arrivé vers 1960. Grâce à son modernisme électrique issu de la société Bourbon Lumière, le Port a connu les premiers réfrigérateurs électriques en 1966, nous confie Mme Cazal. Jusqu’alors, la conservation était possible grâce au sel ou à la fumée (le boucané des cuisines lontan).

De plus, les populations étaient solidaires, on s’échangeait les cultures, on partageait sans rien demander en retour. La plupart du temps, la viande, mets très cher à l’époque, n’était consommée que le week-end. Lorsqu’un cochon était tué dans la famille de M. Gonthier, celui-ci était partagé avec les proches, les amis, et quand c’était possible, avec le quartier tout entier.

Notre trio de choc nous rappelle avec beaucoup d’humilité qu’à l’époque on arrivait à trouver à manger facilement, par exemple en cueillant des fruits sur les arbres en se baladant ou en allant à l’école. La nature pouvait fournir plus que nécessaire : « Le créole à un gène de cueilleur et sait se débrouiller. Les jeunes de maintenant n’ont plus la connaissance des fruits comestibles », lâche avec regret Mme Cazal.

La majorité de la population possédait des jardins et pouvait planter. La population a évolué et il en est de même pour les relations entre les personnes. Tel est le constat de nos invités.

L’autre sujet de débat entre nos gramounes était leur vision du commerce aujourd’hui et la vie active d’antan…

Suite au prochain épisode.

N.N.