Nostalgie de la Grande Terre dans le tsega… CULTURE

…« Ils demandent où est leur père, où sont leur mère, leurs amis ? ». Dans son ouvrage « La Réunion et Madagascar », après avoir décrit les créoles, les petits blancs ou « créoles bichiques », Ferdinand Hue différencie en 1887 « le nègre né dans la colonie, citoyen depuis 1848 », des « nouveaux travailleurs ».

Si sa description n’échappe pas à l’approche classificatrice du XIXe siècle, attribuant à chaque groupe des particularités ethniques et morales, l’auteur apporte des éléments intéressants sur la danse des afro-malgaches. Ayant voyagé dans les deux îles, il ne se satisfait pas d’une note sommaire, mais d’une description détaillée qui évoque de manière saisissante des aspects actuels du maloya ou du séga.

De même, les traces ces chants malgaches originels sont encore visibles de nos jours dans les pratiques musicales. Ce récit vient également conforter la remarque de Louis Simonin, observant que les créoles de la classe dominante ne s’intéressent pas à « toute espèce d’études des mœurs », seuls les voyageurs de passage saisissent tout l’intérêt culturel des manifestations de la rue.

Ce passage laisse également à penser que ces pratiques démonstratives sont visibles sur les places publiques à la fin du XIXe siècle, à une période durant laquelle les divertissements sont rares, les moyens de déplacements non développés, la populations se distrait comme elle peut . Par ailleurs, cette note confirme la préservation par les travailleurs africains d’une partie de leur héritage.

« Le reste de la population noire est composé de nègres engagés à Madagascar et sur la côte d’Afrique comme travailleurs ; ceux venant des côtes d’Afrique au nombre de 9,500 environ sont connus sous le nom de Cafres, mais il y a parmi eux des Iambanes, des Makouas et même des Abyssins.

Les Malgaches, 6,400 environ, sont presque tous Sakalave, Betsimiraks, Antanosses, etc… Forts, robustes, bien constitués, les Cafres fournissent une excellente classe de travailleurs, quand ils ont franchi la période d’acclimatement, qui est parfois pour eux assez pénible.

Même après un assez long séjour dans la colonie, ces africains conservent une partie des coutumes de la terre natale et par-dessus tout un amour profond pour la danse, la musique et les champs. Sa journée de travail terminé, le Cafre s’assied volontiers devant sa case et chante en s’accompagnant d’instruments primitifs, qu’il fabrique lui-même. Mélancolique et quoique sur un rythme uniforme., son chant arrive à produire des effets de tristesse, d’espérance, et de force qui étonne.

Mais la grande distraction des Cafres, les jours du chômage, c’est le sega où Tsega, où la danse s’allie au chant. L’orchestre prélude par quelques coups de tambour, le chef redit plusieurs fois le commencement de l’air qu’on doit chanter et les autres instrumentistes frappent aussi sur leur tambour comme pour prendre l’accord.

Alors, hommes et femmes s’alignent en fredonnant et en marquant la mesure du pied du corps et de la tête. Peu après, l’orchestre prend plus de force, les danseurs s’animent, chantent plus haut, mêlent leur voix, et arrivent à cet ensemble parfait qui n’a pour loi qu’un instinct musical exquis.

A ce moment, un danseur entre dans le cercle, et se livre à une suite de mouvement du corps et des membres, et à des poses d’une grâce naturelle et charmante qui témoignent de la souplesse du danseur bien plus que de ses connaissances chorégraphiques.

Cette mimique du cavalier seul a pour but d’engager une danseuse à entrer avec lui dans l’arène. Souvent les supplications sont longues et permettent aux danseurs de montrer toutes les ressources de son talent. Enfin, la jeune et cafrine accepte et alors commence une de ces scènes qui laisse loin derrière elle tout ce qu’on a pu voir dans un ballet.

Pendant tout le temps que dure cette figure, les danseurs et les danseuses continuent à tourner autour des acteurs en dansant et en chantant.

Moins robuste que les Cafres, les Malgaches s’acclimatent plus facilement, au physique du moins, et deviennent aussi de bons ouvriers parfaitement inoffensifs, honnêtes et pleins de bonne volonté. Mais ils ont un attachement profond pour leur patrie, pour la grande île, et n’ont plus qu’une pensée, qu’un espoir, y retourner.

Cet amour du pays natal, le regret de l’avoir quitté, l’espérance de le revoir un jour, se montrent partout, jusque dans leur chant dont les airs se réduisent à une mélodie triste et mélancolique. Quant aux paroles elles ont toujours pour texte la patrie absente. Ils expriment le regret de ne pas être à Tani-Bé, dans la Grande-Terre, demandent où est leur père leur mère, leurs amis. »

Ce témoignage remarquable n’est pas transcrit sur le mode du dénigrement où du mépris, allant à l’encontre de ce qui a souvent été dit sur le maloya à partir des années 1970. L’auteur exprime une réelle émotion face au spectacle offert.

Céline Ramsamy Giancone