Mahé de Labourdonnais : pour un devoir d’histoire HISTOIRE DE LA REUNION

Nous ne pouvons procéder à une lecture de l’histoire avec des critères de notre temps, et juger le passé d’après ces critères. Garder les traces du passé, comprendre plutôt que détruire aveuglément. Abattre les statues des « grands hommes », est une tentation qui gagne l’ensemble des régions anciennement colonisées.

Il est pourtant préférable (et cela demande un peu plus d’efforts !) de faire un travail pédagogique montrant la complexité des personnages, leur « part d’ombre », autant que leurs actions d’envergure.

A l’échelle de La Réunion, une démarche novatrice a déjà été entamée. Celle-ci consiste à harmoniser le paysage, en nommant les noms des rues, des écoles, de noms de personnages subalternes intéressants, porteurs de valeurs, et dont l’histoire n’avait pas retenu le nom.

Nous pouvons aussi attribuer à ces rues ou structures les noms de personnalités issues des pays dont sont originaires les réunionnais, une démarche initiée également.

Comment Mahé de Labourdonnais est-il devenu gouverneur de Bourbon et de l’île de France ? Par ses victoires, au XVIIIe siècle dans l’Inde coloniale, dont la prise de la ville de Mahé. S’il fit appel aussi bien à la traite des esclaves de l’Inde, de l’Afrique, de Madagascar, aux travailleurs spécialisés de l’Inde, dont il avait observé les talents -briquetiers, maçons, charpentiers, tailleurs de pierre- sa présence est indissociable de la transformation de notre île.

En 1831, on trouve ces quelques notes dans le « Guide des colonies françaises » : « Grâce à Mahé de Labourdonnais, Saint-Denis s’agrandit encore et surtout s’embellit. C’est lui qui pose les premières assises de l’hôtel du gouvernement, une des plus élégantes constructions de la colonie.

C’est lui qui jette en avant du mouillage, un pont suspendu, large de 60 pieds et long de 150, sorte de jetée débarcadère qui, jusqu’au jour de sa destruction par l’ouragan de 1760, permettra le déchargement des navires sans plus avoir besoin de se hâler sur la plage. C’est lui qui, enfin, constitue officiellement Saint-Denis en capitale de l’île Bourbon, en 1738 ».

Le débat serait long et complexe, mais il nous faut aussi retenir que chaque région a une histoire différente, aussi nous calquer sans réfléchir, sur ce que font les autres, reviendrait à effacer nos spécificités, et notre originalité. Une île aussi récente et petite ne peut se permettre d’effacer les traces de son passé.

Nous avons besoin de ces repères pour permettre aux nouvelles générations d’appréhender leur histoire dans sa globalité, et non sous le prisme unique de militantisme mémoriel. La Réunion serait-elle la même sans le Musée Desbassayns (devenu outil pédagogique incontournable) et tous les joyaux architecturaux, témoins d’une époque coloniale révolue ?

Car si nous faisons le choix de la destruction aveugle de tous les témoins de la colonisation, il nous faudrait alors remettre aussi en question le Jardin de l’Etat, la route Hubert de Lisle, le boulevard Doré, Vauban, le palais Rontaunay, le musée Léon Dierx (figures emblématiques d’une gouvernance empreinte de l’idéologie coloniale), jusqu’aux noms de nos villes, bref, autant de traces d’un passé qui, aux côtés des noms de Mafate, Salazie, Dimitile, Takamaka, Cimendef – et tant d’autres, font notre richesse, et la diversité de notre patrimoine.

Céline Ramsamy-Giancone